Les Deux nourrices (Jean-François Alfred BAYARD - Alexis DECOMBEROUSSE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 3 février 1835.

 

Personnages

 

MONSIEUR DAUBINET, bonnetier

MADAME DAUBINET, sa femme

PATOUILLET, garçon pharmacien

GRIMOUL, mari de Marie

MARIE, nourrice chez Monsieur Daubinet

MADELEINE, cuisinière chez Monsieur Daubinet

 

La scène se passe dans la maison de Monsieur Daubinet, marchand de bas, rue des Marmousets.

 

Le théâtre représente l’arrière-boutique du bonnetier ; portes latérales. Au fond à droite, la chambre de la nourrice ; à gauche, la cuisine et la chambre de Monsieur et Madame Daubinet. Une table ronde du même côté, et de l’autre une grande bergère.

 

 

Scène première

 

MARIE, MADELEINE, dans la cuisine

 

MARIE.

Laissez-moi, vous êtes une malheureuse.

MADELEINE.

Et vous une mauvaise langue.

MARIE.

Vous aurez affaire à moi !

MADELEINE.

Une fainéante... exigeante... impertinente...

MARIE.

Ah ! tu me dis des sottises...

On entend d’abord le bruit de soufflets donnés très fort, puis tomber une pile d’assiettes.

 

 

Scène II

 

MARIE, MADELEINE, MONSIEUR et MADAME DAUBINET

 

Madame Daubinet entre par la droite ; elle achève de se coiffer et tient son bonnet à la main. Monsieur Daubinet entre par la gauche ; il met sa veste et a ses lunettes. L’orchestre continue.

MADAME DAUBINET.

Quel vacarme ! ah ! mon Dieu ! entendez-vous, monsieur Daubinet.

DAUBINET, bégayant.

Mais... mais, on se tue.

MADAME DAUBINET.

J’étais là, dans ma chambre, à me coiffer... mon tour m’en est tombé des mains.

DAUBINET.

J’étais là, dans mon cabinet, à mettre le to... total au bas d’une fac... facture, je suis sûr de m’e... être trompé à mon a... avantage.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR et MADAME DAUBINET, MADELEINE

 

MADELEINE, sortant de la cuisine.

C’est une indignité... c’est une horreur...

MADAME DAUBINET.

Qu’est-ce qu’il y a donc, Madeleine ?

MADELEINE.

Il y a, madame, il y a que j’étouffe ! je viens vous demander mon compte.

À la cantonade.

Ah ! tu me taperas, toi !

MADAME DAUBINET.

Votre compte ?

DAUBINET.

Par exemple la perle des cui... cuisinières, mon cor... cordon... don bleu ! la première femme de Paris, pour le ha... haricot de mou... outon.

MADAME DAUBINET.

Nous quitter, et la raison s’il vous plaît ?

MADELEINE.

La raison, madame... c’est qu’il n’y a pas moyen de vivre avec Marie.

DAUBINET.

La nourrice ! j’en... en étais sûr !

MADAME DAUBINET.

Mais taisez-vous donc, monsieur Daubinet ; vous en voulez tous à cette fille.

MADELEINE.

Il n’y a peut-être pas de quoi !

Air : On dit que je suis sans malice.

Pour lui plair’ chacun est au monde.
J’veux ci, j’ veux ça, faut qu’à la ronde
On s’évertue en son honneur,
Pour êtr’ son très humbl’ serviteur !
On dirait enfin d’un’ princesse,
Qui touch’ des gag’s sans qu’ça paraisse,
Et qui d’ son lait, par passe-temps.
S’amuse à nourrir des enfants.

Si bien que tout à l’heure, je faisais le chocolat de monsieur... elle voulait me l’arracher des mains pour déjeuner avant lui.

DAUBINET.

Mon cho... cho... colat.

MADELEINE.

J’y ai refusé, elle s’est mise en colère, moi item, elle m’a agonisée, je lui ai dit son fait... ah ! ah ! ferme !... si bien qu’elle m’a donné un soufflet, ferme aussi, mais un soufflet que j’en ai vu trente-six chandelles.

DAUBINET, lui tâtant la joue.

C’est encore chaud.

MADELEINE.

Si bien, que je tenais une pile d’assiettes, que... patatras...

DAUBINET

Cassées !

MADAME DAUBINET.

Là ! voilà ma terre de pipe dépareillée.

MADELEINE.

Vous voyez bien, madame, qu’il n’y a pas moyen d’y tenir... je m’en vas.

DAUBINET.

Tu ne t’en... t’en iras pas...

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR et MADAME DAUBINET, MADELEINE, MARIE, costume de paysanne, un petit paquet sous le bras

 

MARIE.

Monsieur et madame, pardon si je vous dérange : c’est que v’là l’heure où c’ que la voiture du pays va partir, et je viens vous faire mes adieux.

MADAME DAUBINET.

Hein ? vos adieux, nourrice...

MADELEINE, à part.

Bon voyage !

MARIE.

Je vois bien que mon service ne convient plus à monsieur ; peut-être qu’il croit que l’enfant a assez de lait comme ça... l’ pauvre innocent... enfin, on ne dira pas que c’est ma faute.

DAUBINET, à sa femme.

Est-ce qu’on va sevrer I... I... Isidore ?

MADAME DAUBINET.

Êtes-vous fou !

MADELEINE.

Tiens il n’y aurait pas grand mal... un enfant de quinze mois... gros... comme père et mère, et qui mangerait tout seul.

MARIE.

Oui, pour l’étouffer.

MADELEINE.

Ah ben ! oui.

MARIE.

Quand j’ vous dis...

MADAME DAUBINET, à Madeleine.

Mais taisez-vous donc ; voyons, ma chère Marie, voulez-vous rire...

MARIE.

Moi, manquer à madame ! ah ! Dieu ; mais on a beau être attaché aux gens, il y a des choses qui sont trop suffocantes pour s’y soumissionner ; avec ça, que j’ai toujours été dans des maisons que l’on avait bon genre... et où c’ qu’on ne me traitait pas comme je n’ sais qu’est-ce.

MADELEINE, entre ses dents.

Oui, fais la belle parleuse, va... hypocrite.

MARIE.

Vous entendez.

MADELEINE.

Je n’ai rien dit.

DAUBINET.

Elle n’a rien dit !

MARIE.

Certainement, quand on a voulu me faire entrer ici, chez Monsieur Daubinet, le gros bonnetier de la rue des Marmousets, j’étais toute contente, c’est vrai ; avec ça que je suis attachée à ce pauvre petit Isidore comme tout, quoi ! il est si gentil, c’est le portrait de monsieur, et puis, monsieur et madame sont si bons... et M. Patouillet, votre cousin, qui m’a procurée à madame... un si brave homme !

MADELEINE, à part.

Oui, monsieur l’embarras, qui se croit un savant parce qu’il est garçon apothicaire.

MARIE.

Mais vous n’êtes pas seuls, par malheur, et il n’y a pas moyen d’y tenir.

Air de Masaniello.

On m’ prive si bien du nécessaire
Que j’ n’ai plus rien dans mon corset...
Moi qui, toujours sage et sévère,
Prends gard’ qu’on n’ fass’ tourner mon lait.
Faut que d’ son humeur je pâtisse,
Mais on sait que de tout’ façon.
Les traits qu’on fait à la nourrice
Sont payés par le nourrisson !

MADELEINE.

C’était le déjeuner de monsieur.

DAUBINET.

Écoutez donc, nourrice.

MARIE.

Oh ! je sais bien que monsieur lui donnera toujours raison... c’est son phénix... son bijou... je ne cherche pas pourquoi... je sais bien que ça fait causer dans la maison.

MADAME DAUBINET.

Comment ?

MARIE.

Cela ne me regarde pas... je suis censée ne rien voir... ne rien entendre...

DAUBINET.

Ah ça ! qu’est... qu’est-ce qu’elle dit.

MARIE.

Mais c’est égal, ça n’empêche pas d’être sensible... et monsieur est trop juste pour me faire souffrir de sa préférence...

MADELEINE.

Qu’est-ce que c’est ? sa préférence, me traiter comme ça moi, une fille d’honneur... dire que monsieur... Mais, monsieur, mais répondez donc ; vous souffrez qu’on vous insulte et qu’on dise des horreurs.

DAUBINET.

Mais en effet, elle suppose des horreurs.

MADELEINE.

C’est une malheureuse.

MADAME DAUBINET.

Taisez-vous donc !

MARIE.

Et vous une pas grand’ chose.

MADAME DAUBINET.

Nourrice !

MADELEINE.

Apprenez qu’on me connaît dans le quartier... et que ma conduite...

MARIE.

Oui, elle est belle.

MADELEINE.

Plus belle que la vôtre... je vous apprendrai...

DAUBINET, la retenant.

Allons, Ma... Madeleine.

MARIE.

Viens donc... viens... je ne te crains pas.

MADAME DAUBINET, la retenant.

Marie !

 

 

Scène V

 

MONSIEUR et MADAME DAUBINET, MADELEINE, MARIE, PATOUILLET

 

PATOUILLET.

Eh bien ! eh bien ! on se dispute ici... et là-bas, ce malheureux Isidore crie à se fendre jusqu’aux oreilles.

MADAME DAUBINET.

Ah ! cousin Patouillet, vous arrivez à propos !

PATOUILLET.

Qu’est-ce que c’est ? une émeute domestique, me voici !

Air : Est-il supplice égal.

Si tôt que je parais,
Je rétablis la paix
À la santé si chère ;
J’adoucis les humeurs,
Et j’attendris les cœurs :
Je suis apothicaire.
Dieu bienfaisant,
Génie insinuant,
Je rafraîchis les têtes,
Tout me sourit,
Du corps et de l’esprit
Je calme les tempêtes.

MADAME DAUBINET.

Voilà Marie, qui veut nous quitter.

PATOUILLET.

Bah !

DAUBINET.

Et Ma... Madeleine aussi...

PATOUILLET.

Ah ! bah !

MARIE et MADELEINE.

Oui, oui, je m’en irai.

PATOUILLET.

Allons donc, soyez tranquilles.

Reprise.

Si tôt que je parais,
Je rétablis la paix
À la santé si chère ;
J’adoucis les humeurs,
Et j’attendris les cœurs :
Je suis apothicaire.

De l’humeur ! Faut donc que je vous purge, mes petits anges ! toi, Madeleine, fais-moi le plaisir de passer à ta cuisine...

MADELEINE.

J’y vais, mais dans huit jours mon congé, tiens... d’abord...

PATOUILLET.

Nous verrons ! Vous, nourrice, allez voir cet enfant, il a besoin de vous...

Bas.

J’arrangerai ça.

MARIE.

À la bonne heure... ce que j’en fais, c’est pour obéir à monsieur.

À part.

Ils me payeront ça.

DAUBINET.

Ce cher cou... cou... cousin.

MADAME DAUBINET.

C’est à en perdre la tête...

Madeleine et Marie sortent en se disputant.

PATOUILLET.

Eh bien ! on recommence...

Il va les apaiser ; elles finissent par s’en aller.

 

 

Scène VI

 

PATOUILLET, MONSIEUR DAUBINET, MADAME DAUBINET

 

MADAME DAUBINET.

Vous voyez, monsieur Daubinet, où vous mènent vos familiarités avec vos gens.

DAUBINET.

Com... comment, mes fa... fa... familiarités ?

PATOUILLET, revenant.

Allons, allons... la paix...

DAUBINET.

C’est une mauvaise lan... langue !

MADAME DAUBINET.

Si elle a une mauvaise langue, elle a du bon lait... et si vous étiez bon père...

PATOUILLET.

Eh ! oui... il est bon père, vous êtes bonne mère, je suis bon cousin... nous sommes tous excellents... il ne s’agit que de s’entendre... vous avez chez vous une nourrice pour votre enfant...

DAUBINET.

Ah !... ah !... si... c’était à... à refaire...

PATOUILLET.

L’enfant ?...

DAUBINET.

Eh ! non... prendre une nou... nourrice sur lieu... moi, un bon... netier... une femme qui crie plus fort que l’en... enfant... qu’il faut mettre dans du co... coton...

PATOUILLET.

Dame !... c’est votre état...

MADAME DAUBINET.

Le fait est que si j’eusse prévu tous les inconvénients...

PATOUILLET.

Que voulez-vous !... c’est fait... vous vous êtes conduits en honnêtes parents... vous avez voulu faire ce sacrifice pour Isidore... mon filleul... un enfant qui sera probablement votre dernier...

MADAME DAUBINET.

Hélas ! oui...

DAUBINET.

Hein ?

PATOUILLET.

Air du Carnaval.

Oui, mes amis, c’est assez l’ordinaire ;
Ce qu’on sentit d’amour en recevant
Le premier fils dont on se crut le père,
On le sent là pour son dernier enfant.
À ces doux fruits d’une longue alliance,
De souvenir et d’espoir on sourit :
L’un est pour nous le plaisir qui commence,
Et l’autre, hélas ! le plaisir qui finit !

Daubinet tire son mouchoir et essuie ses larmes.

MADAME DAUBINET.

C’est vrai !... mais enfin...

PATOUILLET.

Un peu de courage, que diable ! encore deux mois, et nous le sèvrerons ; en ce moment, il y aurait du danger, je vous le demande dans l’intérêt d’Isidore, gardez Marie...

DAUBINET.

Ah bah !...

PATOUILLET, à Daubinet.

Ah bah !... si elle s’en va, est-ce vous qui le nourrirez ?

DAUBINET.

Cette bêtise !... s’il fa... fallait lui apprendre à pa... parler... à la bon... bonne heure...

MADAME DAUBINET.

Mais si elle veut s’en aller.

PATOUILLET.

Eh ! mon Dieu !... laissez-moi faire, en l’amadouant un peu... et je m’en charge ; écoutez donc... il faut avoir quelques égards... une nourrice excellente !... qui a un extérieur superbe... et très sûre !... Elle est veuve, pas de père nourricier à craindre... aussi, pour la conserver, vous feriez bien au besoin quelque petit sacrifice...

DAUBINET.

Encore ?...

MADAME DAUBINET.

Pourvu que ce soit le dernier... et puisqu’il s’agit de l’existence d’Isidore...

 

 

Scène VII

 

PATOUILLET, MONSIEUR DAUBINET, MADAME DAUBINET, MADELEINE, puis MARIE

 

MADELEINE, apportant le chocolat.

Voilà le déjeuner de monsieur, que Marie voulait s’infiltrer tout à l’heure...

PATOUILLET.

C’est bien !... laissez-le là...

Elle le pose sur une petite table.

DAUBINET, y allant.

Ah !... je... je vais donc...

PATOUILLET, l’arrêtant.

Pas du tout...

À Madeleine.

Faites venir Marie...

À monsieur et madame Daubinet.

Laissez-nous... c’est une de mes combinaisons.

DAUBINET.

Mais, je n’ai pas dé... déjeuné... et je suis de ga... garde...

PATOUILLET.

Vrai ?... alors, dépêchez-vous donc !... je viens de voir passer trois ou quatre voltigeurs de la compagnie.

DAUBINET.

Eh ! vite !... Ma... Madeleine, mon fusil et mon bon... bonnet de co... coton.

Madeleine sort.

PATOUILLET.

C’est-à-dire votre bonnet de police...

DAUBINET.

Non... de co... coton !... j’en vends, et c’est une mode que je fais venir, pour remplacer le bon... bonnet de po... police... Ça prend.

Air : Non, je n’ai pas l’âme méchante.

Des préjugés, mon industrie,
Grâce à mon zèle, a triomphe,
Et la nuit, dans ma compagnie,
Chaque voltigeur est coiffe,
(bis.)
Très peu de bonnet militaire,
Beaucoup de bonnet de coton...

PATOUILLET.

Et sans compter ceux qui, dit-on, sont coiffés d’une autre manière.

DAUBINET, à Patouillet.

Qu’est-ce que vous dites ?...

MADAME DAUBINET.

Venez, monsieur Daubinet... venez vous habiller.

DAUBINET.

Je te suis.

Montrant la tasse de chocolat.

J’aurais bien voulu pourtant...

MADAME DAUBINET.

Allons donc, gros gourmand...

Elle l’emmène ; ils sortent tous deux. Marie et Madeleine entrent.

PATOUILLET, allant à Marie.

Il paraît que le représentant futur et successeur de monsieur Daubinet s’est endormi, ma belle nourrice...

MARIE.

Dame ! oui...

MADELEINE, à part.

Comme il la cajole... elle qui dit que monsieur...

PATOUILLET.

Allons, assieds-toi là... ma petite Maric... et, pour remettre tes sens dans leur état normal, mange ce chocolat.

MADELEINE, à part.

Oh ! c’est-y Dieu possible !... le déjeuner de c’ pauvr’ cher homme.

PATOUILLET.

Eh bien qu’est-ce que vous faites là, Madeleine ?... les consultations de médecin ne vous regardent pas...

MADELEINE, à part.

Il paraît que je les gène...

PATOUILLET.

À qui est-ce que je parle ?... allez à votre cuisine.

MADELEINE.

J’y vas... j’y vas...

Elle sort.

MARIE.

Ça la vesque... tant mieux !

 

 

Scène VIII

 

PATOUILLET, MARIE

 

PATOUILLET.

À nous deux, ma mignonne... Maintenant que nous voilà seuls, dis-moi donc pourquoi tu veux nous quitter... nous... c’est-à-dire, moi, méchante.

MARIE.

Je m’ennuie ici.

PATOUILLET.

Quand je n’y suis pas ?

MARIE.

Toujours.

PATOUILLET.

Parce que tu ne veux pas m’écouter.

MARIE, la bouche pleine.

D’ailleurs, je pâtis...

PATOUILLET.

Laisse-moi donc tranquille ! quand je te fais soigner, dorloter comme une princesse... Tout le monde ici a confiance en moi, et depuis que je t’ai fait prendre pour nourrice sur lieu par le cousin Daubinet pour mon filleul Isidore, il ne s’est pas passé de jour que je ne t’aie donné des preuves de ma complaisance... Tu as des caprices et tu fais des scènes à te faire renvoyer dix fois pour une... Eh bien ! en ma qualité de premier garçon de la pharmacie voisine, je fais tourner cela en ta faveur, sous prétexte qu’Isidore ne pourrait se passer de toi... ce qui n’est  et il n’a pas plus besoin de nourrice que moi, c’est-à-dire, moi... si fait, j’en ai besoin aussi... Grâce à moi... qui veux être ton gros nourrisson... tu reçois tous les jours de nouvelles douceurs... de nouveaux profits... et ça me profite joliment !... Ingrate !... tu ne m’en as pas encore témoigné un brin de reconnaissance !...

MARIE, se levant.

Laissez donc, ça dérangerait mon état normal, comme vous dites...

PATOUILLET.

La, tu vois bien... te voilà revêche avec moi, comme avec tout le monde.

MARIE.

Dame ! un nourrisson, voyez-vous, c’est sacré, et tant que j’y serai de quelque chose...

PATOUILLET.

À la bonne heure !... et moi aussi je suis délicat...

Lui prenant la taille.

nous verrons plus tard... mais en attendant, voyons, que veux-tu ?

MARIE,

Je veux m’en aller...

PATOUILLET.

T’en aller !... allons donc !... si on te prenait au mot ; mais non, je ferai augmenter tes appointements...

MARIE.

Vrai !... alors, on verrait...

PATOUILLET.

Je te procurerai un petit cadeau... veux-tu ?

MARIE.

Tiens ! c’te demande, un châle de mérinos... j’en ai envie.

PATOUILLET.

Va pour le châle de mérinos... et un pain de sucre pour que ton lait soit plus sucré... et toi, plus douce pour moi... qui ne te refuse rien, et la preuve c’est que je ne t’oublie pas.

Lui donnant une boîte.

Voilà une boîte que je t’ai réservée.

MARIE.

Merci !... je la prends.

PATOUILLET.

Ainsi, nous sommes d’accord... tu restes...

MARIE.

Comme ça... je veux bien... mais à une condition encore... c’est que Madeleine sortira.

PATOUILLET.

Comment ! tu exiges...

MARIE.

Oui, oui... ou il n’y a rien de fait... toujours des disputes, des espionnages.

PATOUILLET.

Eh bien !... oui, la... elle s’en ira... mais plus tard... je trouverai une occasion ; tu vois, je fais tout ce que tu veux ; mais toi, tu seras aimable...

MARIE, riant bêtement.

Eh ! eh ! eh !...

PATOUILLET.

Et quand ce filleul sera sevré tout à fait... tu penseras au parrain ?

MARIE.

Eh ! eh ! eh !

PATOUILLET.

Et jusque-là, pas d’autre !...

MARIE.

Eh ! eh ! eh ! eh ! c’est drôle que vous soyez amoureux comme ça tout d’ même... vous, un monsieur de Paris, qui devez...

PATOUILLET.

Eh bien pas du tout... vrai ! parole d’honneur !... tu es ma seule et unique passion... J’aime les nourrices, moi !... c’est un goût que j’ai conservé de mon enfance ; pas plus haut que ça, j’étais fou de ma nourrice... aussi, vois-tu...

MADAME DAUBINET, en dehors.

Allons donc, monsieur Daubinet.

DAUBINET, en dehors.

Ne te fâche pas, je suis prêt...

MARIE.

Les v'là...

PATOUILLET, accompagnant Marie, bas.

Chut...

Haut.

il faut beaucoup de ménagements...

Marie sort.

 

 

Scène IX

 

PATOUILLET, DAUBINET, en biset, MADAME DAUBINET, puis MADELEINE et MARIE

 

MADAME DAUBINET.

Eh bien !... cousin !...

PATOUILLET, allant à eux en se frottant les mains.

Eh bien ! l’affaire est arrangée...

MADAME DAUBINET.

Vraiment !... ce cher Patouillet, il est né négociateur...

DAUBINET, appelant.

Madeleine !... mon chapeau !

Madeleine apporte le shako. Il se coiffe et met son fourniment pendant la scène.

PATOUILLET, le prenant à part.

J’en suis venu à bout !... et ma foi, ce n’est pas sans peine...

À mi-voix.

Dieu ! quelle tête... Enfin, en lui parlant raison... en lui faisant sentir que son départ porterait un coup funeste à Isidore... je l’ai décidée à rester !...

Mouvement de satisfaction.

moyennant vingt francs de plus par mois.

DAUBINET.

Vingt... vingt francs !

MADAME DAUBINET.

Y pensez-vous, cousin, mais c’est déjà cher... horriblement cher...

PATOUILLET.

Bah !... vingt francs, qu’est-ce que c’est que ça pour vous ?

DAUBINET.

C’est dix bon... bonnets de co... coton.

PATOUILLET.

Vous les placerez ce soir au corps de garde... Vingt francs de plus, c’est convenu comme ça.

MADAME DAUBINET.

Va pour vingt francs...

PATOUILLET.

Et quelque petite bagatelle... une misère... un châle de mérinos, par exemple.

MONSIEUR et MADAME DAUBINET.

Encore !

PATOUILLET.

Elle en a envie... et les envies de nourrices, c’est terrible... il lui faudra son déjeuner, tous les jours à huit heures du matin...

DAUBINET.

Avant moi.

PATOUILLET.

C’est l’heure à laquelle un estomac de nourrice a besoin d’être soutenu... le sien surtout, qui n’est pas très fort.

DAUBINET.

Elle a un excellent co... coffre... et je ne veux pas...

MADAME DAUBINET.

Allons, taisez-vous !... pour ce qui est du déjeuner, on fera ce qu’elle demande... Monsieur Daubinet attendra...

DAUBINET, avec colère.

J’attendrai !...

PATOUILLET.

Que voulez-vous, cousin !... c’est dans l’intérêt d’Isidore.

DAUBINET.

L’intérêt d’Isidore.

Appelant.

Madeleine, mon fusil...

PATOUILLET.

Il ne faut pas regarder à quelques égards, à quelques douceurs...

DAUBINET.

Des dou... douceurs !

Montrant Marie qui entre, la boîte de pastilles à la main, et qui se dispose à en manger.

Tenez... elle en manque peut-être... des pa... pastilles.

MARIE, s’approchant d’un air câlin.

Quoique ça ne soit pas monsieur qui me les ait données, si cela peut faire plaisir à monsieur... je ne suis pas chiche, moi, au contraire !

DAUBINET, prenant des pastilles.

Merci !... elle a du bon... la nou... nourrice...

Il prend la boîte.

MARIE.

Eh bien !... il garde tout...

MADELEINE, rentrant.

V’là le fusil de monsieur... et puis une lettre pour madame la nourrice.

MADAME DAUBINET.

Une lettre ?...

PATOUILLET.

Comment !... une lettre pour vous, Marie... timbrée de Saint-Malo.

MARIE.

Tiens !... qu’est-ce qu’il y a donc de nouveau au pays ?

PATOUILLET.

Cette bêtise !... vous nous demandez cela... à nous ! lisez votre lettre, vous le saurez.

Il lui donne la lettre.

DAUBINET, mangeant des pastilles à force.

C’est juste... elles ont un drôle de goût.

PATOUILLET.

Elles sont excellentes pour le rhume.

MARIE, tournant sa lettre.

Oui, lisez... lisez !... c’est facile à dire... mais avant, faut donc que j’apprenne.

DAUBINET, toujours mangeant.

C’est en... encore juste !...

PATOUILLET, prenant la lettre et l’ouvrant.

Donnez !... Et ils osent dire que l’éducation fait des progrès, une nourrice sur lieu qui ne sait pas épeler.

Lisant.

« Ma petite Marie. »

MARIE.

C’est bien moi...

PATOUILLET, lisant.

« Je ne peux plus y tenir ; il y a si longtemps que ça dure... il faut que je te voie, que je te parle de mon amour... »

TOUS.

Son amour !...

MARIE.

Ce n’est pas moi...

DAUBINET.

Un a... amoureux...

MARIE.

Si ça parle d’amour, ce n’est pas pour moi, d’abord...

PATOUILLET.

Eh ! pour qui donc ?

MARIE.

Dame !... est-ce que je sais... pour mamzelle Madeleine, peut-être...

MADELEINE.

Par exemple, pour moi ! Apprenez, madame, que je n’ai point d’amoureux à Saint-Malo, entendez-vous...

MADAME DAUBINET.

Silence...

MADELEINE, à part.

Il demeure dans cette rue, numéro onze...

MADAME DAUBINET.

Et vous, cousin... continuez.

PATOUILLET, après avoir jeté un coup d’œil sévère à Marie.

« Je profite du voyage de la commère Bertrand qui ramène un nourrisson à Paris, pour aller t’embrasser comme c’est convenu. Signé : GRIMOUL

Il s’arrête et regarde Marie. À part.

Perfide !...

DAUBINET.

Oh ! oh !...

PATOUILLET.

Vous le connaissez donc, ce Grimoul ?

MARIE.

Dame ! à ce qu’il paraît, puisqu’il m’écrit !

À part.

L’imbécile !

DAUBINET.

Une nou... nourrice... ne doit connaître que son nou... nourrisson... entendez-vous ?...

MADAME DAUBINET.

C’est une horreur !... avoir des connaissances... des amoureux ! mais, malheureuse...

PATOUILLET.

Calmez-vous ! calmez-vous ! Marie ne peut pas empêcher que ce malotru lui écrive...

MARIE.

Qu’est-ce qu’il dit donc, un malotru ?

PATOUILLET.

Mais ce qu’il faut empêcher, c’est qu’il vienne ici... et je suis sûr qu’elle lui fera écrire pour lui défendre de la voir... Hem ? laissons-la y penser...

MADELEINE, à part.

Vous verrez qu’il va la tirer encore de celle-ci...

PATOUILLET.

Moi, je cours chez une pratique.

MADAME DAUBINET, à Daubinet qui prend encore une pastille.

Qu’est-ce que vous faites là ?...

DAUBINET, portant armes.

Portez... armes !...

On entend un roulement de tambour.

J’ai tout mangé...

Air : Entendez-vous.

PATOUILLET.

Entendez-vous !... c’est le tambour...
Chasseur fidèle,
Il vous appelle...
Entendez-vous... c’est le tambour
Qui vous réclame à votre tour.

Bas.

Pour réfléchir laissons ici la belle.

MADAME DAUBINET.

À mon comptoir, moi je me rends en bas !

À Madeleine.

Pour le marché, partez mademoiselle.

DAUBINET.

Et moi... je vais... je vais marcher au pas...

TOUS.

Entendez-vous, c’est le tambour, etc.

Monsieur et madame Daubinet sortent, ainsi que Madeleine. Patouillet va jusqu’à la porte du fond, et quand tout le monde est sorti il revient rapidement.

 

 

Scène X

 

PATOUILLET, MARIE

 

MARIE, se croyant seule.

Est-il bête ce Grimoul de m’écrire des choses comme ça... c’est qu’il va venir aujourd’hui ; si l’on savait que c’est mon mari...

PATOUILLET, vivement.

À nous deux, maintenant !

MARIE, effrayée.

Ah !...

PATOUILLET.

Silence !... j’ai conjuré l’orage, mais je ne suis pas dupe ; il est déjà venu, c’est de mon temps, et c’est un amoureux...

MARIE.

Un amoureux !...

PATOUILLET.

Voilà sa lettre... et si j’avais lu jusqu’au bout !...

MARIE.

Ah ! mon Dieu !...

PATOUILLET.

Vous, qui vous donniez pour la vertu même, pour une pauvre veuve... vous permettez qu’on vous parle d’amour...

MARIE.

Dame ! vous m’en parlez bien, vous !...

PATOUILLET.

Oh ! moi, c’est différent !

MARIE, pleurant.

Dame ! si vous voulez me faire de la peine... Oh ! ça serait bien mal à vous...

PATOUILLET.

Mais non !... voyons, tais-toi... ne pleure pas... je n’en ferai rien, petite veuve... mais à une condition, c’est que tu ne verras pas ce Grimoul.

MARIE, pleurant.

Dame...

PATOUILLET.

Je te préviens que je vais faire bonne garde, que s’il rode autour de cette maison...

MARIE, à part.

Vieux singe, va...

PATOUILLET.

Tu dis ?

MARIE.

Je dis que vous ferez bien... que je ne veux pas qu’il m’approche de vingt pas seulement. Je suis une honnête femme, voyez-vous, et il aurait affaire à moi...

Grimoul entre par le fond et file vers la droite où il se cache ; elle l’aperçoit.

Ah !

PATOUILLET.

Hem ! s’il venait ici, tu me préviendrais tout de suite...

MARIE.

Tout de suite.

À part.

C’est lui !

PATOUILLET.

Alors, je n’en demande pas davantage.

Tirant une boîte de sa poche.

Sans adieu !... tu resteras... tu auras les vingt francs de plus et le châle de mérinos... et un ami bien sûr ; mais je vais à deux pas d’ici... chez la lingère... porter cette boîte de pastilles.

Regardant la boîte.

Ah ! mon Dieu ! celles que je t’ai données...

MARIE.

Eh bien !...

PATOUILLET.

C’est que je me suis trompé ; tu ne les as pas mangées, au moins !

MARIE.

Eh ! non, puisque c’est Monsieur Daubinet.

PATOUILLET, riant.

Ah ! ah ! ah ! Daubinet... le cou... cou... cousin.

MARIE.

Il a tout avalé...

Grimoul lui fait signe de le renvoyer.

PATOUILLET.

Des pastilles purgatives ! tant mieux pour lui, ça lui fera du bien.

À Marie qui est occupée de Grimoul.

Qu’est-ce qui t’occupe là ?...

MARIE.

Rien ! rien... c’est qu’Isidore a crié...

PATOUILLET.

Que je ne te retienne pas ! Ce cher cousin !... une boîte entière !... ça doit joliment le déranger de son service... Au revoir, et surtout pas de visite... pas de Grimoul...

Il s’en va par le fond.

MARIE.

Non, non !... enfin il est parti, et ce pauvre garçon peut...

Grimoul va se montrer, il aperçoit Patouillet qui revient et se cache vivement.

PATOUILLET, embrassant Marie qui ne s’y attend pas.

Adieu !...

Il rit.

Ah ! ah !

MARIE, effrayée.

Ah !

Patouillet sort.

Il est toujours sur vos talons !...

 

 

Scène XI

 

GRIMOUL, MARIE

 

GRIMOUL.

Marie !...

MARIE, se jetant dans ses bras.

Grimoul ! c’est toi ! c’est bien toi !

GRIMOUL, l’embrassant.

Oh ! oh ! c’est nous deux... et si tu savais comme ça me fait du bien de t’embrasser... et pour Jacquot, not’ fieu...

Il l’embrasse encore.

Oh !... oh !...

MARIE.

Il se porte bien ?

GRIMOUL.

Il est tout farce, quoi ! et mignon, mignon !... comme toi !

Lui prenant la taille.

Mais que je suis donc content.

MARIE.

Comment donc que t’as fait ?... si on t’a vu !...

GRIMOUL.

Sois tranquille ! je ne suis pas bête, comme tu sais. Oh ! oh ! la bourgeoise est dans son comptoir, qu’elle cause avec des commères... alors, je me suis fait mince comme tout, je me suis faufilé comme un lézard par la porte de l’allée, et ni vu ni connu !...

MARIE.

En ce cas, il n’y a pas de danger, monsieur est au corps de garde, et Madeleine, mon argus... s’en va au marché ; nous pouvons causer !

GRIMOUL.

C’est ça... causons, ma petite femme !...

MARIE.

Chut !... ne dis pas ce mot-là ! Dieu ! si on savait que j’ai mon mari !...

GRIMOUL.

Je crois ben que tu l’as !... oh ! oh !

MARIE.

Mais est-il fou, donc ?

GRIMOUL.

Dame ! il y a si longtemps... et je suis si aise... ça me coupe la respiration... Ah ! c’est que j’ai pâti tout plein... Cette idée ! ne pas vouloir d’une nourrice qui ait z’un mari... quelle bêtise ! C’est vrai que c’est diablement dur... quinze mois !... aussi, vois, je maigris à vue d’œil... je deviens bête... j’ai des idées noires, qui n’ont ni queue ni tête, quoi !...

MARIE, lui frappant sur le front.

Ce pauvre Grimoul !... petit ami, va !...

GRIMOUL.

Tape donc... tape donc, ça fait du bien... Oh ! oh !

MARIE.

T’as donc été malheureux ?...

GRIMOUL.

Comme tout... avec ça que j’ai toujours peur !... y a tant de casuel dans c’ gueux d’ Paris... surtout quand on est gentille comm’ toi... Oh ! oh !...

MARIE.

Toujours jaloux !

GRIMOUL.

Toujours, et qu’est-ce que c’est que cet olibrius qui te parlait à l’oreille, je crois même qu’il t’a mis un mot sur la joue... celle-là !...

MARIE.

Laisse donc... un pataud que je déteste... il n’y a pas de danger...

GRIMOUL.

Ah ben ! oui, il te parlait de près tout de même... c’est qu’il ne faudrait pas qu’il s’y frottasse, au moins... il ferait connaissance avec ces patoches-là, qui ne sont pas tendres d’abord. Heureusement que ça va finir bientôt... quand tu auras rempli la tirelire...

MARIE.

Ça avance...ça avance ! ils aiment tant leur petit, ces gens-là... il faut voir quand j’ les menace de m’en aller...

GRIMOUL.

Vrai ! comme ça, il est gros le magot... tu rançonnes toujours le bourgeois ! nous avons déjà de quoi acheter la maison du père Valentin, mais v’là la celle du voisin Thomas qui est à vendre, et comme elle est plus belle, ça nous irait mieux !... l’appétit vient en mangeant ! Oh ! oh ! il ne nous faut plus que vingt-cinq louis... dépêche-toi d’ les gagner.

MARIE.

Je les aurai... encore deux mois, et ça y sera.

GRIMOUL.

Et tu viendras à Saint-Malo, mais deux mois... ça va me maigrir encore !... Oh ! oh ! dis donc...

MARIE.

Tais-toi donc, tu vas réveiller l’enfant...

GRIMOUL.

Le petit bonnetier... il dort, et puis, il est sevré à peu près.

S’enfonçant dans une bergère.

Tiens !... on est bien là ! ça enfonce... c’est comme du coton... Marie !...

Il lui montre l’autre fauteuil.

MARIE.

Quoi ?...

GRIMOUL.

Histoire de causer... du pays, vrai...

MARIE.

Du pays !...

Riant.

Hi ! hi ! hi ! hi !

GRIMOUL, riant.

Oh ! oh ! oh ! viens donc !...

 

 

Scène XII

 

GRIMOUL, MARIE, MADELEINE

 

Elle entre, son panier an bras, les aperçoit et jette un cri.

MADELEINE.

Ah ! pour le coup...

Elle se sauve.

 

 

Scène XIII

 

GRIMOUL, MARIE

 

GRIMOUL, se levant.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

MARIE.

Ah ! mon Dieu !... Madeleine !... nous sommes perdus !...

GRIMOUL.

Madeleine !... qu’est-ce que c’est que Madeleine ?...

MARIE.

La cuisinière, qui me déteste... et que je ne peux pas souffrir... elle va me faire chasser, j’en suis sûre...

GRIMOU L.

Un instant, diable !... et mes vingt-cinq louis... pas de bêtises !

MARIE.

Comment faire ?

GRIMOUL, courant vers le fond.

Je me sauve !...

MARIE.

Prends garde, j’entends monter madame.

GRIMOUL,

Y a-t-il une croisée ?

MARIE.

Par exemple du premier, ça te tuerait...

GRIMOUL.

Bah !...

MARIE.

Ils viennent !... tiens, là, là !...

Elle ouvre la porte  gauche.

GRIMOUL.

Ah ! ta petite chambre...

L’embrassant.

Adieu ! je te reverrai, va, malgré eux... n’importe comment !... M’en aller comme ça... plus souvent...

MARIE.

Les v’là !... Eh ! vite !...

Elle n’a que le temps de fermer la porte sur lui.

 

 

Scène XIV

 

MARIE, MADAME DAUBINET, PATOUILLET, MADELEINE

 

MADAME DAUBINET.

Où est-il ?... où est-il ?

MADELEINE.

Oui, madame, je les ai vus tous deux qui se faisaient des mines, par ici ! par ici !...

PATOUILLET.

Ah çà par où est-il passé ?...

MARIE.

Qui donc ?... qu’est-ce que c’est ?

MADAME DAUBINET.

Qu’est-ce que c’est ?... vous osez le demander... malheureuse que vous êtes ?...

MARIE.

Je ne comprends pas...

PATOUILLET.

Il est entré ici un quidam, que vous avez reçu seule, en secret... quand j’avais répondu pour vous... quand vous m’aviez promis... M. Grimoul, peut-être !...

La pinçant, à part.

C’est indigne !

MARIE.

Ah ! mais, quand je vous dis...

MADAME DAUBINET.

Il s’est caché quelque part ici... mais nous le trouverons.

MADELEINE.

Il n’est pas sorti, et je suis sûre qu’il n’est pas dans ma cuisine : vous verrez que c’est là, dans sa chambre... elle en sortait...

MARIE.

Du tout, j’allais ranger mes hardes.

PATOUILLET.

Là ! voyons ! voyons !

MARIE, se jetant devant lui.

Monsieur, monsieur...

PATOUILLET.

Laissez-moi donc !

MADELEINE.

Cherchez bien, il y est... Ah ! ah ! ah ! nous allons rire.

Patouillet entre dans le cabinet.

MARIE, à part.

V’là mes vingt-cinq louis flambés.

À madame Daubinet.

Madame...

MADAME DAUBINET.

Taisez-vous ; une pareille conduite... après tout ce qu’on a fait pour vous. Et ce malheureux enfant !

MARIE, pleurant.

Madame... madame... je vous en prie, ne me perdez pas... vrai !... il n’y a pas d’ ma faute... c’est bien malgré moi...

PATOUILLET, revenant.

Il n’y a personne...

MADAME DAUBINET et MADELEINE.

Personne !

MARIE, à part.

Tiens ! comment ça ?

MADAME DAUBINET.

Cependant, vous me disiez...

MARIE, avec force.

Je vous disais, madame, que j’étais innocente, que c’est un trait de Madeleine qui m’ hait.

MADELEINE.

Mais quand je vous dis...

MADAME DAUBINET.

Silence !

MARIE.

Et vous pensez bien qu’à présent c’est fini, avec des suspicions pareilles. Un homme, moi, un homme ! demandez à monsieur Patouillet si je peux les souffrir...

PATOUILLET.

Non, non, c’est vrai !

Bas.

Tais-toi donc !

MARIE, à part.

Faut qu’ la maison du voisin soit à moi du coup...

Haut.

Par ainsi, madame, bien décidément je m’en vas, et je ne regrette que c’ pauvre petit Isidore... qui m’aime, lui, l’innocent, et ce bon M. Patouillet.

PATOUILLET.

Ah ! c’est bien.

MADELEINE.

Comment ! madame.

MADAME DAUBINET, à Madeleine.

Laissez-nous, impudente !

DAUBINET, dans la coulisse.

Oh ! la, la, la, la...

MADAME DAUBINET.

Oh ! mon Dieu !

Madeleine qui va pour sortir se heurte avec Monsieur Daubinet qui entre vivement.

 

 

Scène XV

 

MARIE, MADAME DAUBINET, PATOUILLET, MADELEINE, DAUBINET

 

Daubinet est toujours en uniforme, mais son costume est en désordre ; il est déboutonné et coiffé d’un bonnet de coton.

DAUBINET.

La, la ! c’est pour m’a... achever.

Il tombe dans un fauteuil en tenant ses genoux serrés contre son ventre.

aie ! aie !

MADAME DAUBINET.

Mais qu’avez-vous donc avec vos gémissements ?...

PATOUILLET.

Comme vous êtes pâle...

DAUBINET.

Je crois bien ! cette scélé... scélérate de nou... nourrice, m’a empoi... poisonné.

MARIE.

Moi !

TOUS.

La nourrice !

DAUBINET.

Aie ! aie ! avec ses co... coquines de pa... astilles.

PATOUILLET.

Ah !

Se retournant pour rire.

Ah ! ah ! ah ! ah ! pauvre cousin.

MARIE, riant malgré elle.

Eh ! eh ! eh ! dame ! ce n’est pas ma faute...

DAUBINET.

C’est la mi... mienne peut-être...

Air de la Colonne.

Figurez-vous, ma faction commence :
Près de la guérite posté,
Là, je gardais sans méfiance,
Notre municipalité,
J’étais superbe en vérité.
Lorsque, jugez de mes alarmes...
Un monstre, la colique enfin,
M’a pris le fusil à la main,
Et m’a fait déposer les armes.

J’étais dans un é... état à faire pi... pitié ! et ce n’est pas tout... tout encore... en reve... venant, là, sous nos fenêtres, un ho... homme m’est tombé sur les é... épaules... Pouf !

MADELEINE et PATOUILLET.

Un homme !...

MARIE, à part.

Allons, v’là qu’ ça se r’gâte...

MADAME DAUBINET.

Un homme ! sous la fenêtre de cette chambre ?

DAUBINET.

Juste... comme un pa... pavé de ju... juillet.

MADELEINE.

Là, voyez-vous ! c’est l’homme que j’ai vu... quand j’ vous disais.

PATOUILLET, à Marie.

Ainsi, c’est donc bien vrai, vous mentiez, car enfin vous l’avez reçu.

DAUBINET.

Qu’est... qu’est-ce que vous di... dites donc ? c’est bien moi, qui... qui l’ai reçu.

MADAME DAUBINET, à Marie.

Vous restez confondue, vous n’avez rien à répondre !

MARIE.

Dame !

À part.

Cet imbécile de Grimoul, qui ne regarde pas où il tombe. Ah çà ! il m’a dit qu’il allait revenir, comment va-t-il faire ?

PATOUILLET.

Enfin, elle reste convaincue... c’est une indignité !

MADAME DAUBINET.

C’est une horreur !

MADELEINE, dans le fond, en dehors.

Eh bien qu’est-ce que vous voulez, la femme, on n’entre pas comme ça... mais...

MADAME DAUBINET.

Qu’est-ce que c’est ?

 

 

Scène XVI

 

MARIE, MADAME DAUBINET, PATOUILLET, MADELEINE, DAUBINET, GRIMOUL, en nourrice, même costume que Marie

 

GRIMOUL, faisant la révérence.

Pardon, excuse, messieurs et dames, si j’ vous dérangeons.

MADAME DAUBINET.

Qu’est-ce que demandez-vous, la bonne ?

GRIMOUL.

Je v’nons, en passant, dire un petit bonjour à la payse Marie Grinchon.

MARIE, se retournant.

Hein ! à moi ?...

GRIMOUL.

À qui j’apportais des hardes...

À Marie.

Bonjour, commère...

MARIE, à part.

Ah ! Grimoul !

GRIMOUL, aux autres.

Je suis sa commère !...

MARIE.

Tiens la commère Bertrand...

PATOUILLET.

Ah ! oui... celle qui est venue à Paris, avec cet insolent de Grimoul.

GRIMOUL.

Oh ! oh ! insolent tout de même, not’ monsieur ; vous avez ben raison, itou ! Pardon, excuse, messieurs et dames, si j’embrassons la commère.

Bas, embrassant Marie.

Je t’avais bien dit que malgré eux...

DAUBINET.

Beau... beau... brin de fem... femme tout... tout... à fait.

MARIE, à part.

Est-il audacieux, donc...

PATOUILLET.

Une bonne figure.

GRIMOUL.

N’est-ce pas ? et la taille soignée.

Air : Une robe légère.

J’ai mis pour ce voyage
Mon plus joli bonnet,
Mon jupon à ramage
Avec mon beau corset.
Et puis une tournure...
Parce qu’on m’a chanté
Qu’à Paris la nature,
Embellit la beauté.

PATOUILLET.

Et vous retournez chez vous, la nourrice...

GRIMOUL.

Mais oui, not’ bourgeois, je viens de ram’ner un nourrisson, et j’ m’en retournons à vide... oh ! oh !

MADAME DAUBINET.

Et vous avez laissé ce Grimoul ?

GRIMOUL.

Ma fine, je n’ sais pas, c’est un batifoleux, il court après les jeunesses quand all’s sont gentilles.

MADELEINE.

Madame Marie en sait quelque chose.

GRIMOUL.

Pas possible !

PATOUILLET.

Le scélérat...

GRIMOUL.

Et moi qui venions passer la nuit chez la commère avec votre permission, parce que Grimoul viendra ce soir à l’auberge... me rejoindre, et il me fait peur.

PATOUILLET.

Oh ! oh !

DAUBINET.

Bah ! bah ! comment ça ?

GRIMOUL.

C’est qu’on a d’ la vertu, et en route, voyez-vous, il m’a chiffonnée...

PATOUILLET.

Il vous a manqué...

GRIMOUL.

Ah mais ! j’y ai répondu ferme... c’est égal, il allait toujours... heureusement, v’là un poignet...

Il serre la main de Patouillet.

PATOUILLET, poussant un cri.

Ah !

GRIMOUL.

Oh ! oh !

PATOUILLET.

La gaillarde, j’ai le poignet démis !

MARIE, riant à part.

Tant mieux...

MADELEINE.

Parlez-moi d’une nourrice comme ça, au moins, il y a de l’étoffe.

MADAME DAUBINET.

J’en suis fâchée, la bonne femme, mais il n’est pas sûr que Marie...

PATOUILLET, à part.

Elle reçoit des amoureux à mon nez et à ma barbe !

Passant entre Daubinet et sa femme.

Attendez donc, au fait, une idée !

DAUBINET.

Qué... quelle idée ?

MADAME DAUBINET.

Qu’est-ce que c’est ?

PATOUILLET.

Écoutez-moi, mes chers amis...

Ils se rapprochent et parlent bas tous les trois.

GRIMOUL, bas à Marie.

Hein, la frime !... comme ça, ils ne se douteront de rien.

MARIE, bas à Grimoul.

Pas de mines, Madeleine te r’garde.

MADELEINE, à Grimoul.

Dites donc... si Marie n’ peut pas, à cause d’Isidore... je vous offre ma chambre et mon lit, c’est-à-dire la moitié.

GRIMOUL.

La moitié, c’est tout ce qu’il faut, voulez-vous permettre itou.

Il s’approche pour l’embrasser.

MADELEINE.

Avec plaisir.

MARIE, à part.

Eh bien, eh bien !

Tirant Grimoul par son jupon.

Qu’est-ce qu’il y a d’ nouveau au pays, commère ?

GRIMOUL.

Mais, pas grand’ chose.

DAUBINET,

J’ap... j’ap... j’approuve.

PATOUILLET.

Commère Bertrand !

GRIMOUL.

Not’ bourgeois...

PATOUILLET.

Écoutez, on a à vous parler...

À madame Daubinet.

Vous, pendant ce temps-là, prévenez Marie de votre résolution.

MADAME DAUBINET.

Suivez-moi, Marie, vous serez libre tout à l’heure de causer avec votre payse.

GRIMOUL.

Oui, un petit brin... jusqu’à demain.

MARIE, à part, en sortant avec madame Daubinet.

Tiens ! qu’est-ce qu’ils ont ?

PATOUILLET.

Vous, Madeleine, allez faire de l’eau sucrée à votre maître.

DAUBINET.

De l’eau... su... sucrée, avec du riz... beau... beaucoup...

 

 

Scène XVII

 

PATOUILLET, GRIMOUL, DAUBINET, puis MARIE

 

GRIMOUL, à part.

Qu’est-ce qu’ils ont donc à me regarder ?...

PATOUILLET, à part.

C’est une très belle femme...

DAUBINET, à part.

Elle a des... des pieds... su... superbes !...

GRIMOUL, à part.

Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’il y aurait quelque chose dans mon costume qui trahirait mon sexe.

PATOUILLET, lui donnant une petite tape sur le bras.

Dites donc ?

GRIMOUL.

Hein ?...

DAUBINET, même jeu.

Nou... nourrice ?...

GRIMOUL.

Quoi ?

PATOUILLET.

Quel âge votre lait a-t-il ?

GRIMOUL.

Mon lait... a-t-il...

DAUBINET.

Oui, il vous demande quel âge votre lait a...

GRIMOUL.

Mon lait a... Ah ! oui, je comprends... il a t’un an.

PATOUILLET.

Ainsi, vous venez de rendre votre nourrisson, et vous vous en retournez à vide, comme vous dites ?...

GRIMOUL, les regardant alternativement.

Oui, mon bon monsieur... oui, not’ bourgeois...

PATOUILLET.

Vous m’avez l’air d’une honnête femme... hein ? si vous ne vous en alliez pas...

GRIMOUL.

Tiens... qu’est-ce qui me retiendrait ?...

DAUBINET.

Mais un autre... nou... nourrisson...

GRIMOUL, bégayant comme lui.

Un autre nou... nou...

À Patouillet.

Il parle drôlement, ce monsieur.

PATOUILLET.

Si l’on vous en offrait un autre ?...

GRIMOUL.

À moi !

Il les regarde d’un air stupéfait.

Ah çà ! et Marie ?...

PATOUILLET.

Chut ! votre payse est une femme qu’on ne peut pas garder... elle a reçu ce Grimoul...

GRIMOUL.

Bah !...

DAUBINET.

Et elle me l’a je... jeté sur la tê... tête.

GRIMOUL.

Vrai ? c’était vous...

Se reprenant.

C’est affreux !...

PATOUILLET.

Ainsi, n’ayez pas de scrupule... si ce n’est pas vous qui la remplacez, ce sera une autre...

GRIMOUL.

Ah ! ce sera une autre...

DAUBINET.

Ça... ça... y est-il...

GRIMOUL.

C’est que j’ voudrais en parler à la commère...

PATOUILLET.

C’est juste... c’est d’une bonne camarade...

Lui tapant sur le bras.

C’est d’une bonne femme !...

MARIE entre en pleurant.

Ah ! monsieur Patouillet, madame me renvoie...

PATOUILLET, sévèrement.

Et elle fait bien ; cela vous apprendra à mieux tenir vos promesses...

À Grimoul.

Je vais régler vos intérêts avec monsieur et madame... grosse mère.

À part.

Une carnation magnifique.

À Marie qui s’approche de lui.

Faites votre paquet...

Il sort.

MARIE, à Daubinet.

Mais, monsieur, c’est une tuile qui me tombe sur la tête...

DAUBINET, à Grimoul.

Décidez-vous, ma belle.

À Marie qui le suit.

Faites votre pa... paquet...

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

GRIMOUL, MARIE

 

Ils se retournent et restent immobiles, plantés en face l’un de l’autre.

MARIE, pleurant.

Tu ne sais pas, Grimoul ?... hen ! hen !...

GRIMOUL, riant.

Tu ne te doutes pas, Marie ?... ah ! ah !

MARIE.

On me chasse !...

GRIMOUL.

On me prend...

MARIE.

À ma place ?...

GRIMOUL.

Comme nourrice...

Ils partent tous les deux d’un rire fou.

TOUS DEUX, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

Ils finissent par tomber assis.

MARIE, tâchant de se calmer.

Ainsi, c’est toi...

Riant.

Ah ! ah ! ah !

GRIMOUL.

Oui, c’est moi... qui...

Riant.

Ah ! ah ! ah !

MARIE.

Dis donc... il profitera joliment, le petit bourgeois... ah ! ah ! ah !

GRIMOUL.

Et me vois-tu avec le petit, quand il me demandera... à...

Il rit.

Ah ! ah ! ah !... Oh ! la ! la !... que ça fait mal à la rate.

MARIE.

V’là que j’en pleure !... je n’en peux plus. Ainsi, tu acceptes ?

GRIMOUL.

Bah !...

MARIE.

Faut accepter... quand ce ne serait que pour leur apprendre... à ce vilain Patouillet, surtout... Et puis les vingt-cinq louis... faut que tu les gagnes.

GRIMOUL, riant.

Ah ! ah ! ah !... Comment, tu veux... Je suis pompier dans la garde nationale de Saint-Malo... Ah çà ! qu’est-ce que je lui donnerai à Isidore ?

MARIE.

Dame !... tu lui donneras de la soupe comme moi.

GRIMOUL.

Oh ! ce lait-là, j’en ai... oh ! oh !... dis donc, ils ne veulent pas que je te voie... mais ils ne m’empêcheront pas de te recevoir.

MARIE.

Je l’espère bien !

GRIMOUL.

Il n’y a pas de danger pour l’enfant. Ah çà ! j’y pense, il ne faut pas le bercer, le petit bourgeois ?

MARIE.

Jamais...

GRIMOUL.

Il est dormeur ?...

MARIE.

Toute la nuit.

GRIMOUL.

Et propre ?...

MARIE.

Comme père et mère...

GRIMOUL.

Alors, ça me va, nous ferons tous les deux une paire d’amis.

MARIE, apercevant Patouillet.

Ah ! v’là leur cousin...

Élevant la voix.

Dame ! commère, la maison est bonne, et puisque j’en sors... j’aime autant que ce soit vous.

GRIMOUL.

Merci, payse.

MARIE.

Je vais chercher mes hardes.

Elle entre à droite.

 

 

Scène XIX

 

GRIMOUL, PATOUILLET

 

PATOUILLET.

Eh bien, petite mère, il paraît que nous avons fait toutes nos réflexions, et que nous acceptons... mon cœur.

GRIMOUL.

Comm’ vous dites.

À part.

A-t-il un air doucereux.

PATOUILLET.

Et vous faites bien... la maison est excellente, je viens de convenir de tout avec la famille... vous aurez ce qu’avait Marie avec la petite augmentation... vous savez, elle vous a dit...

GRIMOUL.

Oui, oui !...

À part.

Oh ! il y a une augmentation.

PATOUILLET.

Et je vous réponds d’une foule de petites douceurs, que vous me devrez... comme tout le reste, parce que, voyez-vous, c’est sur ma recommandation qu’on vous prend, c’est sur ma recommandation

qu’on vous gardera.

GRIMOUL, faisant la révérence en minaudant.

Vous êtes bien bon tout de même...

PATOUILLET.

En ma qualité de médecin apothicaire, c’est moi qui fais ici la pluie et le beau temps.

GRIMOUL.

Comme le baromètre de monsieur le curé, oh ! oh !...

PATOUILLET.

Oh ! oh ! elle a une figure tout à fait réjouie, la grosse !...

Il lui pince le bras, Grimoul lui donne un coup sur les doigts.

Aie !... et le bras très fort.

GRIMOUL, à part.

Ah çà ! qu’est-ce qui lui prend donc, à l’apothicaire ?

PATOUILLLET.

C’est moi qui dirige la santé de la maison, je suis le confident de tout le monde, et si vous êtes bien gentille, surtout si vous n’avez pas d’amoureux, quand je dis pas d’amoureux...

Il veut lui prendre la taille.

GRIMOUL, avec sa grosse voix.

À bas les pattes !

PATOUILLET, reculant.

Eh bien est-elle chatouilleuse, donc.

GRIMOUL, petite voix.

Oui, on ne peut pas plus chatouilleuse des hanches.

À part.

Je lui tombe sur le casaquin.

PATOUILLET, se rapprochant.

C’est donc ça, mais ne craignez rien, ayez confiance... je ne veux pas vous faire du mal, au contraire, et Marie le sait bien.

GRIMOUL.

Bah !... Marie ?

PATOUILLET.

Certainement, avec son petit air bégueule, elle m’écoutait tout de même ; elle était douce, douce, et quand je lui prenais la taille.

Il lui prend la taille.

Elle ne me disait pas :

Le contrefaisant.

À bas les pattes !

GRIMOUL, se laissant faire.

Pas possible !... elle vous laissait faire comme ça...

À part.

Je sue à grosses gouttes.

Air : Un homme pour faire un tableau.

PATOUILLET.

Ça lui rapportait joliment !
Des fichus, des bonnets d’dentelle,
Châles de mérinos...

GRIMOUL.

C’est charmant,
Vous obteniez tout ça pour elle !

À part.

C’est effrayant !...

PATOUILLET.

Dieu sait vraiment
Tout c’ qu’elle a r’çu d’ma complaisance,

GRIMOUL, serrant le poing, à part.

J’ai bien envie en ce moment
De lui bailler une quittance !...

Et qu’est-ce qu’elle donnait pour ça ?...

À part, serrant son poing.

Oh ! la main... la main.

PATOUILLET.

Ce qu’elle me donnait... rien... ou pas grand’-chose.

GRIMOUL, à part.

Ah !

Haut.

Vrai ?...

PATOUILLET.

Aussi c’est pour ça que je lui ai retiré mes bonnes grâces, que je la fais chasser ; tu seras plus gentille, toi, commère.

GRIMOUL, regardant autour de lui.

Ah ! oui...

PATOUILLET.

Ce misérable Grimoul !... c’est que vois-tu, je te ferais chasser comme elle, mais heureusement...

Il va pour l’embrasser, Grimoul lui donne un grand coup de poing.

Hein ?...

GRIMOUL, le prenant au collet.

Ah ! vieux singe !... tu crois que je te laisserai faire...

PATOUILLET.

Mais, nourrice ! nourrice ! ma bonne !

GRIMOUL.

Et c’est parce qu’elle a de la vertu que tu la fais chasser.

PATOUILLET.

De la vertu !... mais non... elle n’en a pas.

GRIMOUL, le secouant avec force.

Elle n’en a pas !... et la preuve !... la preuve !...

PATOUILLET, criant.

Mais la femme... vous m’ennuyez !... lâchez donc.

 

 

Scène XX

 

GRIMOUL, PATOUILLET, MARIE

 

MARIE, accourant.

Qu’est-ce que c’est... ah ! mon Dieu !...

GRIMOUL.

Laisse donc... faut qu’il paye toutes ses fredaines.

PATOUILLET, s’échappant.

Mais, c’est une enragée que cette femme-là...

Grimoul le poursuit.

Au secours ! à l’assassin ! au feu !

Il tombe sur un fauteuil, Marie le défend.

GRIMOUL, le renversant sur le fauteuil.

Tiens ! v’là pour tes cajoleries et pour tes mensonges !...

 

 

Scène XXI

 

GRIMOUL, PATOUILLET, MARIE, MONSIEUR et MADAME DAUBINET

 

MADAME DAUBINET.

Quel bruit ! quel vacarme !... Ah ! mon Dieu !...

DAUBINET.

Où... où est le feu ?...

PATOUILLET, criant.

Ici, cousin, ici !...

MADELEINE, accourant.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il y a ?...

MADAME DAUBINET.

Patouillet !... mais, monsieur Daubinet, arrêtez-la donc...

DAUBINET.

Tout... tout de suite ; Madeleine, arrêtez-la...

Madame Daubinet tient Grimoul dans ses bras, Madeleine retient Marie.

GRIMOUL.

Laissez, laissez, faut qu’il s’en souvienne.

MARIE.

Ce vieux coquin !

PATOUILLET, se sauvant.

Ne la lâchez pas... ne la lâchez pas, c’est un dragon que cette femme-là... la grosse...

GRIMOUL, avec sa grosse voix.

Dragon, mais non... pompier de notre endroit !

MADAME DAUBINET, le lâchant et se reculant.

Un pompier ! un homme !... ah ! l’horreur.

MARIE.

Pardine ! c’est Grimoul, qui a un bras solide, demandez plutôt...

PATOUILLET.

Ne m’approchez pas...

DAUBINET.

C’est Gri... Gri... Grimoul, celui qui est tombé ; je vous de... demande un peu... quand... quand on a reçu ça sur le dos...

MADELEINE.

Comment !... ce n’est pas une nourrice, sous ce physique ?

GRIMOUL.

Dame !... on fermait la maison à mon sesque... il a ben fallu prendre le physique de l’autre, auquel je ne fais pas de tort, j’ose le dire, et heureusement, puisque j’ai découvert que ce particulier-là ne vous faisait renvoyer votre nourrice que par jalousie... et n’en faisait prendre une autre que pour lui faire la cour... pour lui pincer le menton... lui chatouiller les hanches...

Patouillet fait signe que non.

Hein !... tu oses dire que non ?...

PATOUILLET, effrayé.

Si fait... si fait !...

GRIMOUL.

Quoique votre petit Isidore n’ait plus besoin de nourrice et qu’il mange de la soupe depuis quinze jours, il le sait bien.

MADAME DAUBINET.

Il se pourrait...

Patouillet fait signe que non.

GRIMOUL.

Hein !... tu dis ?

PATOUILLET, effrayé.

Oui... oui...

MARIE.

Je crois bien, on peut le sevrer sans lui faire tort, un enfant de quinze mois...

DAUBINET.

Tiens, je n’ai té... té... té que jusqu’à qua... quatre mois, et j’ai eu assez de lait, ainsi...

MADAME DAUBINET.

Ah ! cousin...

PATOUILLET, à demi-voix.

N’en croyez rien... je vous dirai...

Voyant Grimoul qui s’approche de lui.

Chut !

GRIMOUL.

Il a raison, le bourgeois !... quoique ça nous fasse du tort, c’est égal, je nous contenterons de la petite maison, moi et ma femme, car c’est ma femme...

MADAME DAUBINET.

Elle était mariée !...

GRIMOUL.

Et à un bon luron, incapable de vous faire du tort, et au nourrisson non plus...

À Marie.

Viens-t’en... il y a trop de danger ici pour une nourrice fraiche et gentille... Mais elle n’en prendra pas moins des nourrissons, et plus d’un je l’espère, mais au pays...

À Monsieur Daubinet.

À votre service, si vous donniez un frère ou une sœur à monsieur Isidore.

DAUBINET.

Par exem... emple, si on m’y... m’y reprend...

CHŒUR.

Adieu donc, bon voyage,
Quand un enfant viendra
C’est dans { votre  village
                   { notre
Que l’on { vous l’enverra.
                { nous

Air : J’en guette un petit de mon âge.

MARIE, au public.

Je viens, messieurs...

GRIMOUL, s’approchant.

Ah ! permettez, ma chère,
C’est à moi de parler ici
Et d’implorer pour cette œuvre légère,
De ces messieurs, l’indulgence et l’appui...
Si j’étais homm’ je n’aurais rien à dire...
Souffrez, messieurs, qu’il en soit autrement...
Je veux encor pour un moment
Rester femme pour vous séduire.

CHŒUR.

Adieu donc, etc.

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